Domestiques et ménagères
Loïc Aubrays
A partir du milieu des années 1870, les recensements font de plus en plus mention de ménagères. Concomitamment, la mention de domestiques connaît comparativement une certaine stabilité. Ainsi rapportée à l’augmentation de la population, la proportion de domestiques est en baisse.
En se penchant sur les activités domestiques dans l’ensemble, on constate que le nombre de blanchisseuses, de lingères, de cuisinières ou de femmes de chambre reste aussi stable. Plutôt qu’un changement de nomenclature, nous assistons à la transition progressive de la maison moderne au foyer familial contemporain.
Si notre étude n’a pas travaillé sur le genre, il est essentiel d’effectuer quelques constats sur notre matériau, les recensements. Calqués sur le modèle du chef de famille, entité principale du foyer, ces documents mentionnent le nom et la profession du mari, les noms et professions des enfants à partir de 1885 et ceux des pensionnaires. Des épouses, on ne connaît que le nom. Mais si une femme est célibataire ou devient veuve, alors l’activité est généralement mentionnée.
La profession du mari reste parfois la référence, même en son absence. (1848, division no 1, folio 5)
Les domestiques
Provenant généralement de la campagne, les domestiques sont essentiellement des jeunes femmes qui s’occupent des tâches ménagères dans les foyers bourgeois, parfois sous la direction d’une gouvernante. Le recensement fédéral de 1888 mentionne que le métier est occupé à 91,5% par des femmes. Dans l’extrait ci-dessous de 1862, nous pouvons constater que les domestiques sont des femmes entre 20 et 32 ans.
Exceptionnellement en marge se trouvent les années de naissance des pensionnaires. (1862, p.41).
Ces jeunes femmes participent à la démographie dynamique de Lausanne qui voit sa population multipliée par 3.5 entre 1850 et 1910 et à la stabilité démographique, voire le dépeuplement des districts ruraux.
En 1898, on décompte plus de 1750 domestiques et, dans nos résultats, ce métier est toujours le métier le plus pratiqué à Lausanne, à l’exception de la période entre 1849 et 1858 où les données des pensionnaires sont en partie manquantes.
Dans une recherche complémentaire, il serait intéressant de se pencher sur l’âge des domestiques, l’année de mariage et le district du domicile conjugal. Il nous apparaît probablement que les jeunes femmes restaient majoritairement vivre en ville, attirant par la même occasion des jeunes hommes à la recherche d’un emploi non-agricole et d’une femme à épouser.
Portrait des domestiques de la famille Mercier. De g. à d. : une nurse, une servante, une cuisinière et une bonne d'enfant. Photographie, 1889-1895. https://museris.lausanne.ch/SGCM/Consultation.aspx?id=153704
Les ménagères
Si le terme “ménagère” est utilisé dans notre corpus dès 1832, l’explosion de son usage à partir du milieu des années 1870 correspond à la volonté politique de professionnaliser l’économie domestique. La Société vaudoise d’utilité publique, fondé en 1826, défend dans son Journal une position hygiéniste et la nécessité de la femme au foyer comme responsable du maintien de la maison et de sa transformation. On trouve ainsi dans l’édition de mai 1868, une justification de cette volonté : « la science du ménage, comprise dans son acceptation la plus large et au sens le plus élevé du mot, est à la base de sociétés, instrument de mieux être, outil d’hygiène, agent de concorde et de moralité. [...] Tant vaut la femme, tant vaut la famille et la société. » (Heller, p.142)
Dès 1875, on introduit l’idée d’un enseignement spécifique : « Ouvrons à la fille du peuple une institution où elle puisse être enseignée dans ses devoirs et pour sa carrière de ménagère. » (Heller, p.156) Il faudra attendre le début du XXe siècle pour voir l’ouverture des écoles ménagères.
Ces changements dans les mentalités qui se caractérisent par l’homme pourvoyeur du revenu et la femme dévolue aux travaux ménagers, au soin et à l’éducation des enfants se retrouvent inévitablement dans les recensements.
Et en effet, nous constatons aussi que le nombre d’institutrices suit une dynamique similaire, tandis que le nombre d’instituteurs reste constant.
Des recherches complémentaires pourraient interroger la question du genre de manière plus précise. Les principales difficultés qui nous ont retenu d’initier cette recherche en début de projet sont l’identification des femmes par le nom de leur métier, parfois mal retranscrit lors de la reconnaissance des caractères ou simplement épicène, ou par leur prénom.
Références majeures
Heller Geneviève, « Propre en ordre » : habitation et vie domestique 1850-1930 : l’exemple vaudois, Lausanne : Editions d’En Bas, 1979, 248 p.
Joris Elizabeth, « Travaux ménagers », in Dictionnaire historique de la Suisse, 09.03.2015, https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/014072/2015-03-09/.
Rippmann Dorothee, « Domestiques », in Dictionnaire historique de la Suisse, 30.06.2011, https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/016376/2011-06-30/.