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L'évolution des métiers à Lausanne
au XIX siècle

Margherita Rufi et Loïc Aubrays

L'analyse des données obtenues à partir de la numérisation des recensements de la population de Lausanne entre 1835 et 1898 a permis de faire des réflexions sur l'évolution des métiers dans la ville pendant le XIXe siècle. Les graphiques annuels des professions les plus fréquentes ont soulevé des questions intéressantes. 

Les cas des domestiques et des pensionnaires se démarquent. Ce sont les deux catégories qui dominent largement tous les graphiques. 

 

Dans les recensements, les domestiques sont les hommes et femmes qui travaillent au service d’un foyer et qui y sont logés. C’est le terme le plus fréquent. Très nombreuses sont aussi les occurrences des termes « rentiers » dans les recensements. Ces données suggèrent qu'une bonne partie de la population lausannoise était aisée et pouvait se permettre de ne pas travailler.

Un autre terme qui apparaît très fréquemment dans nos données de toutes les années est « pensionnaire ». Nous devons distinguer le terme de pensionnaire, utilisé comme en-tête de colonne des recensements, équivalent au terme plus tardif de sous-locataire, finalement un occupant du foyer, du pensionnaire ici discuté, soit celui qui est en pension. Si nous savons que le pensionnaire réside dans le foyer du recensement, nous ne pouvons, néanmoins, déterminer son activité. Il est possible qu'il soit retraité ou étudiant, à l’exemple de Rastignac ou du Père Goriot, des personnages de l’oeuvre littéraire de Balzac (1835). Il y a aussi de nombreux riches étrangers en voyage qui s’arrêtent plusieurs mois, voire années à Lausanne. Plusieurs pensions deviendront à la fin du siècle des hôtels.

Des hôtes russes et anglais dans la pension Chevallier en 1862 à la pension Chevallier, Caroline 3 (1862, division no 3, folio 13 ou p.87)

Avant de poursuivre cette analyse, il est important de souligner que dans les recensements, l’activité des épouses n’est pas mentionnée. En revanche, nous connaissons l’activité des veuves, des célibataires ainsi que des pensionnaires. Les métiers féminins qui apparaissent dans nos données sont "couturière", "cuisinière", "cadre", "ouvrière", mais surtout "domestique". Notre étude ne s’étant pas intéressée au genre, nous ne pouvons guère tirer d’autres conclusions, bien qu’il soit probable que les professions des hommes, plus diversifiées, se démarquent moins les unes des autres.

 

Les métiers les plus communs à Lausanne n'ont pas beaucoup changé au cours du 19ème siècle. "Journalier", "tailleur", "menuisier" et "négociant" restent parmi les 10 professions les plus fréquentes tout au long du siècle. Il est intéressant de noter au contraire que, si dans la première moitié du siècle "ouvrier" (de 35 à 49), "vigneron" (de 35 à 58) et "propriétaire" (35-67) apparaissent presque toujours dans les les graphiques, dans la seconde moitié, ces métiers sont supplantés par “charpentier” (des années 50-60 aux années 70), “manoeuvre” (68-98), “couturière” (fin des années 70 aux années 95), “ménagère” et “employée” (fin des années 80 aux années 95) et même “étudiant” des années 90.

 

Si on constate que le nombre de travailleurs du secteur primaire reste à peu près constant, au fil du temps il représente une proportion de plus en plus réduite du marché du travail lausannois. Nous pouvons donc en déduire que, dans la première moitié du XIXe siècle, certains métiers du secteur primaire résistent, mais se font progressivement submerger par la part grandissante des métiers du secteur secondaire et tertiaire. Cette tendance est également confirmée par l'analyse des secteurs les plus développés à Lausanne au cours du siècle.

Il semble également que certaines professions portent des noms différents au cours des années. En fait, ce n'est que dans la seconde moitié du siècle qu'apparaît le terme "ménagère", qui désigne probablement la même figure que la "domestique".  Dans les graphiques des pourcentages des occurrences des termes "ménagère" et "domestique", nous notons une forte augmentation du premier et une légère baisse du second à la fin du siècle.

Le même constat peut être fait pour le couple “ouvrier” et “manœuvre”, qui pourraient désigner la même figure professionnelle.

A la fin du siècle, "employé" et "étudiant" entrent dans le top 10 des professions exercées à Lausanne. Concernant le premier, son aspect semble indiquer un glissement de l'économie de la ville, du modèle moderne vers le modèle contemporain. Le secteur tertiaire devient alors prédominant.

 

Le cas des professions telles que "instituteur" et "étudiant" est également intéressant. En analysant les graphiques qui décrivent l'évolution des occurrences dans les données des professions "instituteur", "professeur", "étudiant" mais aussi "ingénieur", "médecins" et "avocat", nous constatons une augmentation commune à l'approche du vingtième siècle. L'économie de marché capitaliste devient à la fin du XIXe siècle le principal moteur d'une nouvelle organisation du travail. La professionnalisation est un des éléments essentiels de cette mutation ; elle se traduit par une qualification scientifique plus systématique et un degré élevé de spécialisation et d'organisation.

Comme le suggère l’historien Mario König dans l’article « Profession » du Dictionnaire Historique de la Suisse, “la professionnalisation se rattachait à des idéaux libéraux éclairés qui promettaient aux meilleurs l'ascension et l'intégration sociales. Les espoirs individuels de promotion sociale furent renforcés (même s'ils n'étaient pas toujours réalistes) dès lors que le libre choix du métier en fonction des aptitudes et des aspirations individuelles remplaça la transmission héréditaire. Mais si cette vision idéaliste prédominait dans les milieux bourgeois, la majorité de la population se représentait l'exercice d'une profession simplement comme l'accomplissement d'un devoir et l'affirmation d'un statut social.”

Références

König Mario et Dubler, Anne-Marie, « Profession », in Dictionnaire historique de la Suisse, 02.08.2010, https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/013737/2010-08-02/.

Pavillon Olivier, « Un exemple d’hébergement touristique à Lausanne au milieu du XIXe siècle », Revue historique vaudoise, no 114, 2006, p. 57‑65, DOI: http://doi.org/10.5169/seals-514216.

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